A la manière de Dany
Laferrière (Tout bouge autour de moi)
La Vague
Sur la plage les enfants courent, leurs pieds s’enfoncent dans le sable
mouillé. Peaux mates sur le bleu de la mer. Une mer étrangement calme. Le ciel
est triste mais il fait chaud. Allongée sur ma serviette j’aspire profondément
pour emplir mes poumons de cette douce odeur de sel. Il est tôt. Je ferme mes
yeux. Le silence... puis les cris. Tout bouge autour de moi. La terre hurle,
craque, engloutit les vivants. La peur m’envahit. Reste calme. Il n’y a pas de bâtiments alentours. Après quelques
interminables minutes, les secousses s’arrêtent. Respire. Je me hisse sur mon
coude et reste figée. La vague est immense. Si proche déjà. 1. 2. 3. L’impact
me coupe le souffle, roule, tourne, emporte tout sur son passage. Je lutte.
Je perds.
Le réveil
Je reviens à moi doucement. Un moment de répit ; puis mon corps se
rappelle à moi. Douloureusement, je me révèle. Un instant je crois rêver. Non,
ce n’est pas un rêve, c’est un cauchemar. La vague m’a emportée loin de la
plage, déposée sur ce qui était avant un village. Des cabanes de bois ? Il
ne reste rien. Des jardins ? Il ne reste rien. De la vie ? Je ne sais
pas. Des corps gisent à terre,
disloqués. Des hommes, des femmes, des enfants, des pères, des mères, des
sœurs, des oncles, des amis. On dit que la mort n’a pas de visage. Elle en a,
aujourd’hui, des milliers.
Pause
Pourtant des ombres se réveillent. Hagardes elles semblent errer pendant
quelques instants. Un homme s’adresse à moi, ils ont besoins d’aide, il faut
secourir les malades, enterrer les morts, reconstruire. Pas de temps pour
s’apitoyer. L’on pleurera plus tard. Je marche à travers les débris. Une femme
appelle à l’aide ; cuisse est coincée sous une voiture renversée.
Plusieurs personnes tentent de soulever l’engin. Je leur propose mon aide. Dessous,
la jambe est broyée. Je réprime un haut le cœur. Un enfant gémit: il cherche sa
mère. Je lui prends la main. Il ne dit rien. Je panique : et si nous ne
retrouvions jamais ses parents, que deviendra-t-il? Comment lui faire
comprendre ? Je pense aux orphelins. Je pense à ceux qui ont travaillé
pendant des années. La vague a tout emporté. Les rêves s’échouent. A jamais.
Brutalement l’enfant retire sa main de la mienne. Il se met à courir vers une
jeune femme. Ils s’étreignent puis s’éloignent. Je me demande combiens auront
la chance de se revoir encore.
L’espoir
L’école en brique est, par miracle, intacte. Les gens se rassemblent
dedans pour la nuit. Pour faire taire la faim et la peur ils se racontent des
histoires. La salle du réfectoire s’emplie de chuchotements. Quelqu’un se met à
chanter. En temps normal les gens se seraient plaints. Il y aurait eu des cris,
des insultes peut-être. Ce soir tout le monde écoute. D’autres voix s’élèvent.
C’est une berceuse. Il faut panser ses plaies.
Partir ?
Le lendemain les premières ONG arrivent. Parmi eux, des français. En
Europe tout le monde ne parle que du tsunami. Pour moi, ce n’est que la vague.
L’on me dit que je vais pouvoir rentrer, que j’ai de la chance d’être toujours
vivante. Je hoche la tête. Oui, de la
chance. Ce n’est pas ma maison qui s’est écroulée. Ce n’est pas moi qui suis
orpheline. Ce n’est pas moi qui ai tout perdu. Il faut embarquer. Je n’ai pas
de bagages. En montant les marches de l’avion je m’arrête. Je ne peux pas. Il
faut que je reste.
Ce que je faisais là
Je fuyais mes responsabilités. Je fuyais l’ennui des salles
d’université. Alors j’ai téléphoné à ma mère et je lui ai dit que je voulais
partir en Thaïlande. « J’ai besoin d’air, maman, est-ce que tu peux
comprendre ? J’ai besoin de me retrouver ». Il y a eu des adieux et
quelques larmes. « Prends bien soin de toi ». Et c’est pourquoi
j’étais au bord de l’océan Indien le 26 Décembre 2004. C’est pourquoi j’étais
présente lors du séisme de magnitude de 9,1, la plus grande jamais
enregistrée. C’est pourquoi j’étais là
lors du tsunami, une vague de 30 mètres. Mais pourquoi ai-je survécu ?
Y-a-t-il un Dieu ? Est-ce la chance ou le destin ?
Reconstruction
Les habitants font preuve d’un courage hors du commun : à peine
s’accordent-ils un court deuil que déjà ils se remettent au travail. Le village
reprend forme. Mes mains se couvrent de cals. Des gamins jouent avec une
vieille balle trouée. Des femmes chantonnent. Des odeurs d’épices chaudes
emplissent l’air. Des hommes travaillent. Pleurent. Crient. S’aiment.
Petit à petit, la vie reprend son cours.
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