Wednesday, March 20, 2013

Un mot d'Alain Mabanckou!!!!!!

Chers Élèves 
 
 
Je suis très honoré de recevoir le Prix des lycéens d'Amérique du Nord. Votre choix qui s'est porté sur mon livre "Demain j'aurai vingt ans " me réconforte et me donne l'enthousiasme de continuer, d'espérer que les lecteurs n'ont pas d'âge et que, le plus souvent, la plus belle consécration vient de loin, de très loin, comme aujourd'hui en Amérique du Nord. Depuis la France où je me trouve pour la promotion d'un nouveau livre je vous remercie de tout cœur. 
Je suis persuadé que parmi vous il y aura des écrivains et que la littérature est entre de bonnes mains. 

Je remercie également les organisateurs de ce prix, et j'espère être digne de l'honneur qui vient de m'être accordé !

Mes amitiés, et bonne cérémonie !
 Je serai avec vous dans les pensées !
 
 
Alain Mabanckou

Tuesday, March 19, 2013

Concours : Los Angeles




Houston: pastiche

Pastiche: Emma

A la manière de Dany Laferrière (Tout bouge autour de moi)



La Vague

Sur la plage les enfants courent, leurs pieds s’enfoncent dans le sable mouillé. Peaux mates sur le bleu de la mer. Une mer étrangement calme. Le ciel est triste mais il fait chaud. Allongée sur ma serviette j’aspire profondément pour emplir mes poumons de cette douce odeur de sel. Il est tôt. Je ferme mes yeux. Le silence... puis les cris. Tout bouge autour de moi. La terre hurle, craque, engloutit les vivants. La peur m’envahit. Reste calme. Il n’y a  pas de bâtiments alentours. Après quelques interminables minutes, les secousses s’arrêtent. Respire. Je me hisse sur mon coude et reste figée. La vague est immense. Si proche déjà. 1. 2. 3. L’impact me coupe le souffle, roule, tourne, emporte tout sur son passage. Je lutte.

Je perds.


Le réveil

Je reviens à moi doucement. Un moment de répit ; puis mon corps se rappelle à moi. Douloureusement, je me révèle. Un instant je crois rêver. Non, ce n’est pas un rêve, c’est un cauchemar. La vague m’a emportée loin de la plage, déposée sur ce qui était avant un village. Des cabanes de bois ? Il ne reste rien. Des jardins ? Il ne reste rien. De la vie ? Je ne sais pas.  Des corps gisent à terre, disloqués. Des hommes, des femmes, des enfants, des pères, des mères, des sœurs, des oncles, des amis. On dit que la mort n’a pas de visage. Elle en a, aujourd’hui, des milliers.


Pause

Pourtant des ombres se réveillent. Hagardes elles semblent errer pendant quelques instants. Un homme s’adresse à moi, ils ont besoins d’aide, il faut secourir les malades, enterrer les morts, reconstruire. Pas de temps pour s’apitoyer. L’on pleurera plus tard. Je marche à travers les débris. Une femme appelle à l’aide ; cuisse est coincée sous une voiture renversée. Plusieurs personnes tentent de soulever l’engin. Je leur propose mon aide. Dessous, la jambe est broyée. Je réprime un haut le cœur. Un enfant gémit: il cherche sa mère. Je lui prends la main. Il ne dit rien. Je panique : et si nous ne retrouvions jamais ses parents, que deviendra-t-il? Comment lui faire comprendre ? Je pense aux orphelins. Je pense à ceux qui ont travaillé pendant des années. La vague a tout emporté. Les rêves s’échouent. A jamais. Brutalement l’enfant retire sa main de la mienne. Il se met à courir vers une jeune femme. Ils s’étreignent puis s’éloignent. Je me demande combiens auront la chance de se revoir encore.


L’espoir

L’école en brique est, par miracle, intacte. Les gens se rassemblent dedans pour la nuit. Pour faire taire la faim et la peur ils se racontent des histoires. La salle du réfectoire s’emplie de chuchotements. Quelqu’un se met à chanter. En temps normal les gens se seraient plaints. Il y aurait eu des cris, des insultes peut-être. Ce soir tout le monde écoute. D’autres voix s’élèvent. C’est une berceuse. Il faut panser ses plaies.


Partir ?

Le lendemain les premières ONG arrivent. Parmi eux, des français. En Europe tout le monde ne parle que du tsunami. Pour moi, ce n’est que la vague. L’on me dit que je vais pouvoir rentrer, que j’ai de la chance d’être toujours vivante.  Je hoche la tête. Oui, de la chance. Ce n’est pas ma maison qui s’est écroulée. Ce n’est pas moi qui suis orpheline. Ce n’est pas moi qui ai tout perdu. Il faut embarquer. Je n’ai pas de bagages. En montant les marches de l’avion je m’arrête. Je ne peux pas. Il faut que je reste.


Ce que je faisais là

Je fuyais mes responsabilités. Je fuyais l’ennui des salles d’université. Alors j’ai téléphoné à ma mère et je lui ai dit que je voulais partir en Thaïlande. « J’ai besoin d’air, maman, est-ce que tu peux comprendre ? J’ai besoin de me retrouver ». Il y a eu des adieux et quelques larmes. « Prends bien soin de toi ». Et c’est pourquoi j’étais au bord de l’océan Indien le 26 Décembre 2004. C’est pourquoi j’étais présente lors du séisme de magnitude de 9,1, la plus grande jamais enregistrée.  C’est pourquoi j’étais là lors du tsunami, une vague de 30 mètres. Mais pourquoi ai-je survécu ? Y-a-t-il un Dieu ? Est-ce la chance ou le destin ?


Reconstruction

Les habitants font preuve d’un courage hors du commun : à peine s’accordent-ils un court deuil que déjà ils se remettent au travail. Le village reprend forme. Mes mains se couvrent de cals. Des gamins jouent avec une vieille balle trouée. Des femmes chantonnent. Des odeurs d’épices chaudes emplissent l’air. Des hommes travaillent. Pleurent. Crient. S’aiment.

Petit à petit, la vie reprend son cours.  

Monday, March 18, 2013

Concours : LFSF, San Francisco



Il pleuvait des oiseaux : Des papis, des patates et pourtant….

L’émotion a été ressentie de façon unanime à la lecture de Il pleuvait des oiseaux, roman de Jocelyne Saucier, publié en 2011.
Ce qui plait tout d’abord dans ce livre, c’est la diversité des thèmes et la manière avec laquelle ils sont traités. Des thèmes audacieux, peu abordés en littérature. En effet, le vieillissement, la mort, l’amour chez les personnes âgées, perçu comme une chance et non comme un poids, participent à rendre ce livre étonnant.
L’approche poétique, présente dès le titre, nourrit les lignes de ce livre. Par exemple à la page 82, nous avons été profondément marqués par le portrait fait de la vieillesse :  je cite «Elle en était venue à les aimer plus qu’elle n’aurait cru. Elle aimait leurs voix usées, leurs visages ravagés, elle aimait leurs gestes lents, leurs hésitations devant un mot qui fuit, un souvenir, qui se refuse, elle aimait les voir se laisser dériver dans les courants de leur pensée et puis, au milieu d’une phrase s’assoupir. Le grand âge lui apparaissait comme l’ultime refuge de la liberté. » (fin de citation)
Toute la partie documentée, notamment celle des Grands Feux, apporte du relief à l’histoire.
Certains personnages comme Marie Desneiges sont particulièrement touchants, d’autant plus lorsqu’on sait que ce personnage s’inspire d’une personne réelle, présente dans l’entourage de l’auteur. Nous avons été très émue de lire la vie de ce personnage en marge, emmuré pendant soixante ans pour des raisons qui ne paraissent pas justifiées.
L’entretien, nous a véritablement permis d’avoir une approche plus approfondie, d'aborder l’œuvre avec encore plus d’épaisseur.
L'ouvrage a suscité des réactions très vives dans le groupe; c'est le genre de livre qui ne laisse pas indifférent; soit on l'adore et il vous bouleverse, soit on le déteste et on a envie de le jeter à la poubelle.

Concours: Montréal- Textes

Collège international Marie de France, Montréal
Critique littéraire
Alain Mabanckou, Demain j'aurai vingt ans

Demain j'aurai vingt ans est le huitième roman d'Alain Mabanckou. Publié dès 2010, il obtient la même année le Prix Georges Brassens.
L'histoire se déroule au Congo, en 1970. Le narrateur, Michel, est alors âgé de dix ans et explique avec une naïveté feinte les premières difficultés qui surviennent dans sa vie d'enfant, comme avec ses amis ou ses amours ; il énonce aussi, innocemment, les troubles politiques qu'il suit avec ardeur malgré son jeune âge. On retrouve donc dans le livre une vision enfantine du monde compliqué qui entoure Michel, sans que le lecteur n'ait aucune difficulté à déchiffrer ce qui est dit implicitement par l'enfant.
A la vue de ses erreurs syntaxiques volontaires et de son vocabulaire simplissime, ce roman attendrit en donnant l'effet que le jeune narrateur est encore et toujours dans une naïveté d'enfance des plus touchantes. Ces deux caractéristiques ― les plus importantes du roman à mes yeux ― peuvent jouer en sa faveur ou en sa défaveur.
D'autre part, l'utilisation de la première personne du singulier permet à chaque lecteur de s'identifier plus aisément au personnage, même si ce dernier reste très différent de nous-mêmes. Par la même occasion, la naïveté du point de vue rappelle sans conteste cette part d'enfance qui vit en chacun de nous, aussi infime soit-elle.
En se mettant à la place du jeune Michel et en plongeant dans son monde, nous bénéficions également d'une ouverture culturelle de premier ordre sur le Congo de 1970 : cette histoire simple, écrite simplement, explique la vie quotidienne des Congolais de l'époque, tout en mettant en avant leurs habitudes, plusieurs détails géographiques et politiques concernant ce pays, soulignant ainsi le fait que cet espace n'est pas inconnu à l’auteur.
Enfin, tout au long de ce rafraîchissant roman, on partage la douleur intérieure du jeune Michel, dont la souffrance ne cesse de nous effleurer et de notre atteindre, en rapport étroit avec ses deux sœurs défuntes et à sa mère qui ne saura cacher à son enfant son vœu d'avoir un bébé sans pouvoir l'exaucer.
Dans les pensées du jeune garçon, et en deçà de sa naïveté enfantine, se laisse percevoir une once de maturité dans ses actes ainsi qu’une manière de réfléchir fréquente et profonde que même la syntaxe, pleine d’erreurs, ou le vocabulaire, peu poussé, ne peuvent camoufler…
Au demeurant, Demain, j’aurai vingt ans constitue donc un excellent choix de lecture — choix que je ne peux que conseiller à toute personne qui s’intéresse à la destinée humaine.

Meriem Beghili, 2nde 3

Regard coloré (1/3 partie)

Le vent commence à souffler un peu plus fort. Je le sais parce que les feuilles des palmiers s'agitent beaucoup plus qu'hier, c'est bien visible à travers la grande baie vitrée du salon. Les rayons du soleil filtrent à travers les nuages. On dirait qu'ils sont là que pour faire joli ; d'ailleurs, ces nuages, c'est de vraies passoires. Mais faut dire que ça m'arrange puisque, du coup, les rues sont toutes ensoleillées, et j'ai le plus beau de tout les beaux paysages sous les yeux. On se serait cru dans un film; il y a plein d'oiseaux qui chantent des chansons que je trouve jolies ; j'aurais bien voulu les enregistrer mais Maman dit que ça marchera pas parce qu'ils sont trop loin. Derrière quelques buildings, on voit des montagnes. Elles sont toutes bleues parce que, justement, elles sont trop loin. Il y a aussi des palmiers (comme je l'ai dit tout à l'heure), de grands et beaux palmiers, et avec des feuilles vraiment grandes, encore plus grandes que les feuilles de bananiers de mon pays. Enfin je crois, je n'ai pas de feuilles de palmier sur moi et encore moins de feuilles de bananier pour vérifier.
Il y a toujours du monde qui marche dans les rues. On est au centre de la ville, c'est pour ça, enfin c'est ce qu'on m'a dit. Je sais pas trop si j'aime vraiment ça, le monde qu'il y a. C'est que des gens pressés, des gens qui regardent tout le temps leur montre et qui parlent au téléphone de trucs de grands que je peux pas comprendre, des gens qui s'habillent tout le temps avec des couleurs pas vives du tout. Un jour, j'aimerais bien leur jeter des pots de peinture de toutes les couleurs, comme ça ils seront moins sombres de l'extérieur. Et alors, peut-être qu'ils seront moins sombres de l'intérieur aussi. Peut-être qu'ils souriraient plus, ces gens-là, qu'ils seraient un peu plus heureux parce que des fois je doute qu'ils le soient. Mais bien sûr, je ne vais pas le faire, parce que je ne vais pas les faire sourire en faisant ça, bien au contraire, ils seront très, très en colère, j'en suis presque sûre. Ils n'ont pas le temps pour mes bêtises. Comme Papa.
J'aurais aimé voir un arc-en-ciel, pour que ce soit encore plus joli. Je n'en ai vu que deux de toute ma vie, mais Maman dit que j'ai beaucoup de chance d'en avoir vu deux, parce qu'il y a des enfants qui n'ont pas eu la chance d'en voir du tout. Alors, je pense que je suis sacrément chanceuse, parce que les arc-en-ciel sont vraiment trop extraordinaires. Il y a plein de couleurs vives comme celles dont les gens sombres ont besoin. La première fois que j'en avais vu un, je n'avais pas très bien compris ce que c'était, mais ensuite j'ai compté chacune des couleurs et ça m'a rappelé ce que j'avais appris à l'école: les arcs-en-ciel en possèdent sept en tout, qui sont le rouge, l'orange, le jaune, le vert, le bleu, l'indigo, et le violet. Et donc, ensuite, j'étais toute excitée d'en avoir vu un sans que personne me le dise. Et c'est moi qui l'ai montré à Maman, en le pointant du doigt. Elle était très fière de moi, après, je le sais parce qu'elle me l'a dit.
Ça fait quelques minutes que j'ai le nez collé à cette fenêtre, mais je ne vois plus grand-chose puisque ma respiration contre la vitre rend ma vision floue, à cause de la buée. Je finis par passer ma main dessus plusieurs fois dessus pour l'essuyer, mais alors, Maman m'appelle pour que j'aille prendre le goûter. Et le goûter, ça ne peut pas attendre, d'ailleurs j'ai faim, très faim, mon ventre gargouille depuis tout à l'heure pour me le rappeler mais je pense bien que j'étais trop concentrée sur ce que j'observais. Maman dit que je peux rester des heures à regarder dehors, sans avoir spécialement envie de sortir, et elle trouve ça bizarre. Quand elle parle de ça, elle utilise des mots d'adulte des fois très compliqués, comme "absorbée par ce qui l'entoure", "d'un calme incroyablement serein pour une fillette de son âge", "patience à toute épreuve" ou "réticence à sortir". Au début, quand elle parle de ça avec les gens, elle est très fière parce que je ne suis pas du tout turbulente comme beaucoup d'enfants, et ça se voit dans ses yeux marrons qui pétillent en me regardant, mais ensuite elle l'est un peu moins, je crois. Des fois quand elle m'en parle, elle a presque l'air inquiet, comme si elle s'attendait toujours à ce que je bondisse dehors pour faire la chasse aux papillons ou pour plonger dans notre piscine. Des fois, je sors, pour lui faire plaisir ; on va faire les courses et elle m'achète toujours quelque chose qui me fait plaisir. Ou alors, on va à la bibliothèque parce qu'elle sait que j'adore ça. Les livres, je ne les lis pas, je les dévore. J'aime bien cette expression d'ailleurs, je l'ai apprise il y a un peu de temps dans un des livres que j'ai pu finir en quelques jours. Enfin bon !... Tout ça pour dire que fais des efforts, j'espère qu'elle le remarque, quand même.
Je me précipite dans la cuisine peu de temps après qu'elle m'a appelée. Elle m'accueille avec un grand sourire, comme d'habitude, et me caresse maladroitement la joue puisqu'elle est au téléphone. Comme d'habitude. Elle pointe du doigt la grande table en bois, avec dessus deux tartines de Nutella et un verre de lait sur un napperon. Je m'assois et je commence à manger, en faisant attention à ne pas tâcher ma robe préférée que je porte aujourd'hui. Une fois qu'elle a fini de parler et que j’ai fini de manger, elle se met derrière moi pour me brosser les cheveux. Elle le fait souvent et adore ça, et moi aussi. Elle passe la brosse lentement, et dénoue chaque nœud avec beaucoup de patience. En général, on se parle en même temps. C'est notre petit moment à toutes les deux. Aujourd'hui, c'est elle qui commence :
― Elles sont bonnes, tes tartines ?
Elle connaît déjà la réponse, j'en suis sûre, mais elle fait ça que pour commencer la conversation, donc c'est pas grave. Je hoche la tête. Elle poursuit :
― Tant mieux. Et qu'en penses-tu, de cet endroit ? C'est joli, pour les vacances. D'ailleurs, après on va à la plage ! D'accord?
― Oui, c'est super joli, mais j'aimerais bien voir un arc-en-ciel, tu sais. Comme la dernière fois, à Pretoria. C'était trop cool !
― Je sais pas s’il en aura, ma puce.
Pendant un moment, je suis un peu fâchée. Je comprends pas pourquoi les adultes pensent toujours à ce qu'on n'aura pas et détruisent tout sans raison. Dans certains livres, ils disent que ces gens-là sont "pessimistes", mais dans d'autres, ils les appellent les "réalistes". Moi, je pense qu'on devrait s'accrocher jusqu'à ce qu'on ait ce qu'on veut. Sinon, on n'a pas de raison de se battre, ni de volonté pour avancer. Bien sûr, je ne le dis pas à ma mère, elle dirait que je suis trop petite pour penser comme ça, et je veux pas être fâchée encore plus ou la mettre en colère. Donc je me tais. Ensuite, elle débarrasse silencieusement mon assiette. Je souris un peu, elle aussi. Elle me dit d'aller préparer mes affaires pour aller se baigner, et de me dépêcher un peu parce qu'autrement, le temps nous manquera. Je ne comprends pas vraiment comment le temps peut nous "manquer", mais je fais vite comme elle me l'a demandé.
J'ai juste le temps de regarder un peu par la fenêtre. Mon sourire s'agrandit quand je remarque un grand arc-en-ciel, un peu plus loin, qui semble me faire un clin d'œil.

Concours: Marie de France- Montréal






Concours: LFNY- New York



Pastiche – A la manière de Tout bouge autour de moi de Dany Laferriere
Par Ruthnie Constant, 1ere L, Lycée français de New York

Déjà l’espoir
Un rayon d’espoir se fait sentir sur le pays après ces dernières décennies de confusion et de chaos. Des jeunes gens, ceux qui n’ont pas la possibilité de quitter le pays, trainent dans les rues, les yeux vides de toutes émotions. Les mamans tirent leurs petits, en essayant de se frayer un chemin dans cette mer de marchands qui hurlent sur les trottoirs. La ville déjà euphorique à cette heure pourtant matinale, essaie de survivre comme toujours. Les quartiers des “grand-negres”(riches) comme Montagne-Noire, voient la discrimination sociale diminuer avec les familles pauvres qui deviennent de plus en plus aisées. Le pays progresse à petits pas. Lentement mais sûrement.  J’arrive et installe mes marchandises devant l’Eglise Saint-Jean de Bosco de Petion-ville. Je suis Monette, une marchande de produits cosmétiques, venue d’une petite ville du Cap-haitien(l’une des principales villes d’Haiti). J’ai dû arrêter mon éducation après le brevet car mes parents ne pouvaient plus me soutenir financièrement. Je m’installai à Port-au-Prince pour une vie meilleure. J’ai pu avoir une commerce qui me permis d’éduquer mes deux enfants: Pierre et Jeanne. Pierre est  à Saint- Louis de Gonzague et Jeanne à Sainte- Rose de Lima, deux grandes écoles catholiques, privées. Je suis trop fière d’eux. Ce sont des jumeaux, nés d’un viol dont je fus victime il y a dix-huit ans, commis par un blanc qui visitait la ville. Ils sont mulâtres, yeux bruns ,cheveux “sirops”(soyeux et frises). J’étais pulpeuse et redondante à l’époque, c’est peut être l’une des raisons de ce viol. Ils sont en terminale et partiront bientôt au Canada pour leurs études universitaires: l’un sera médecin, l’autre avocat. Ils m’aiment et n’ont pas honte de moi. Ils m’aident même à apprendre le français. Ils sont ma vie.

L’Heure chaotique
Je bavarde avec mon amie Christiane. Cette femme est la plus courageuse  qu’il soit. C’est une vraie “fanm kreyol”(femme créole). Elle a 3 enfants,et une famille dans les montagnes qu’elle doit aider. Mais, elle ne baisse jamais les bras. On bavarde à propos du commerce d’aujourd’hui comme le “biznis”(business)marchait bien et on dégustait un bon petit plat d”aleken”(Harlequin=plat chaud vendu dans les rues). Lorsque tout se mit à bouger autour de moi. Au début, j’ai cru que c’était la chaleur qui me montait à  la tête car c’était l’après-midi, mais lorsque je vois Christiane plaquée contre le sol comme un “hougan dans un rara”(hougan=prêtre vaudou haïtien, rara=danse traditionnelle haïtienne), je comprends que je n’hallucine pas. Je  tombe  à genoux. Je pense à mes enfants. En ce moment je ne pense qu’à mes enfants. Tout cela dure 10 secondes. 16h53. Les dix secondes les plus fatales de l’histoire haïtienne. La terre cesse sa danse. Mon premier réflexe est d’appeler mes enfants. La mer rouge de poussière qui s’élève me bouche la vue, m’entre dans la gorge. Je goûte  les malheurs haïtiens.  Je m’efforce de regarder mon portable. Pas de signal. Je me mets à  vomir. Christiane tremble. Tout est figé dans le temps et l’espace. Je regarde à nouveau mon portable. Deux barres. Vite! Les enfants! J’appuie frénétiquement sur les boutons.  J’appelle les enfants. Pas de réponse. Tous supplient le ciel. Les chiens, la nature, les hommes. Pitié!! Les animaux affolés courent dans tous les sens, Les immeubles semblent indécis. Ils penchent. Devons-nous tomber ou rester ainsi? Ils n’implosent pas, ils explosent, rejetant des cadavres déjà pourris de malheurs. Ces immeubles semblaient honteux de leur sort. Doucement, cette épaisse mer de poussière semble s’évanouir. Cette noirceur illuminée enveloppe encore la ville. Tout est compté. Tout se fait à un moment précis, Comme si une opération mécanique et calculée avait été mise en place pour qu’une telle chose soit possible.

Le Suspense
Tout se passa si vite. Les gens sont encore figés. Les mères tombent à genoux dans la rue, implorant le ciel d’épargner leurs enfants. Certaines verront leur vœu exaucé, d’autres non. Et je suis parmi celles qui n’ont pas eu la chance. Apres avoir essayé de rejoindre mes enfants sans succès. Je tire de ma poche mon crucifix. Trois choses que je garde toujours sur moi: ma bourse remplie d’argent et photos de famille, mon téléphone, et mon crucifix. Et en ce moment, j’avais besoin de mon crucifix. Je me laisse tomber à  genoux devant l’église et j’implore “Manman la viej”(La Sainte Marie) d’avoir pitié. Un flot de larmes, incapable de se tarir, sort de mes yeux. Mon instinct maternel ne prédit rien de bon a ce moment. Je presse le crucifix car en ce petit objet se concentre ma force. Ou celle qui me reste. J’appelle Jésus, Marie, les saints, les ”loas” (esprits vaudou). Je ne sais plus où me tourner.. Je rassemble mon  courage et j’essaie de trouver mon chemin à travers les larmes. Je ramasse mon étalage. Me passe une corde à la ceinture comme font les femmes haïtiennes en douleur et marche. Tremblante mais décidée, je marche vers  ma maison située à quelques mètres de l’église. Je me dis: “ pitit mare sentiw. sak pasel pase”(petite, serre-toi la ceinture, Ce qui s’est passé est passé). Je n’entends plus rien autour de moi. Je suis dans mon monde. Tout bouge autour de moi

La découverte
Ce que je vois me fige à l’instant. Ma maison est complètement aplatie. Elle est en ruine. Je peux entrevoir les morceaux de corps de mes voisins écrasés sous le béton. Un chien est mort, transpercé par une barre de fer. Mon cœur bat à toute allure. J’avance. Prise d’une force indomptable, je me mets à fouiller, fouiller, fouiller. Les larmes me baignent le corps. Le gout salé, ravive  mes blessures car je me déchire la peau en fouillant. Mais, je ne peux m’arrêter. Cette chanson me revient. Chanson que chantait ma mère aux enfants quand elle était en ville: “ ti zwazo kote ou prale? mwen prale kay fiyet Lalo. Fiyet Lalo konn manje timounn, siw ale la manje ou tou, Zikkolobrik, zikklolobrit, rosiyol maje kowosol.. (Petit oiseau, où vas tu? Je vais voir Lalo, la fillette. Lalo, la fillette te dévorera si tu y vas car elle mange les enfants. zikkilobrit,, Le rossignol mange le corossol(fruit haïtien). Finalement. je les découvre, enlacés, sourire aux lèvres. Ils sont allongés mes enfants, crucifix à la main. Il n’y a  pas de sang. Ils sont sous la porte d’entrée. Ils ont dû être asphyxiés. Mes anges sont partis. “wouy, timoun mwen yo ale” m’écriai-je (ouie! mes enfants sont partis=morts). Je me laisse tomber sur le sol, incapable de supporter mon corps. La terre poussiéreuse boit mes pleurs et semble désolée de m’avoir causé tant de peine.. A moi et à toutes les familles haïtiennes.

Et maintenant?
Une secousse de magnitude 7.3 n’est pas si terrible. Les villes rurales n’ont pas été si touchées. Mais “Potoprens ayayay, ti Potoprens mwen an ale”(Port-au-Prince, aie aie aie, ma petite Port-au-Prince s’est envolée, finie). Je ne peux croire ce qui vient d’arriver. Je regarde mes deux enfants, allongés là, une expression sereine sur le visage. Qu’ils sont beaux mes bébés. Qu’ils sont beaux! Les voila couchés là , sans vie. Un sourire figé aux lèvres. Couchés sur un tas de débris. 5h15pm. La ville est sombre. De temps en temps un cri fuse des décombres.  De pauvres âmes sont encore bloquées là-dessous.  Les pauvres. Je ne peux bouger du sol. Ce sol maudit me retient comme un aimant. Il ne veut pas que je parte. Ce sol me réconforte. Je ne sais pas pendant combien de temps je reste prostrée dans cette position de zombie. Mais, je ne peux rester ainsi. Je m’étouffe. Je dois m’échapper de cette ville. Que faire? Où aller? Haïti a changé en ces dix secondes et ne sera plus la même.  Trente-trois ans, sans enfants, célibataire, sans maison. Rien! Que faire?
Je me lève et pars vers un horizon incertain et sans fin.














Article critique par Lou Clinton-Celini, 1ere L, Lycée Français de New York

« Rue des Syriens » de Raphaël Confiant : la désillusion d’un syrien aux Antilles

Née à Le Lorrain en Martinique en 1951, Raphaël Confiant est un réel revendicateur et acteur de la Négritude et de la créolité. L’écrivain s’engage à affirmer l’identité antillaise comme à part entière et écrit en 1989, en collaboration avec Jean Barnabé et Patrick Chamoiseau, l’Eloge de la créolité. Dans son dernier livre, Rue des Syriens, le martiniquais nous raconte l’histoire de Wadi, un des nombreux immigrants en provenance du Moyen-Orient arrivés à Fort de France dans les années vingt. L’immigré découvre ce pays dans lequel la vie n’est pas bien plus facile que celle qu’il a quitté. Confiant se servira de cette découverte afin de nous montrer l’archipel sous tous ses angles et dans son contexte culturel.

Immigrant Dépaysé

Fils d’une famille de travailleurs érudits, Wadi part de son pays en direction de l’Amérique où il pense faire fortune. Cependant, une confusion entre Amérique et Martinique résulte en son arrivée sur le port de Fort-de-France après un long voyage désagréable et mouvementé. C’est alors que le périple du jeune homme prend un tournant plein de nouveautés. La quête qu’il mène pour trouver son oncle Bachar ne semble pas porter ses fruits ; ou plutôt si, mais c’est une récolte inattendue.

C’est un récit de rencontre et de découverte aux parfums naturalistes. Les surprises du jeune libano-syrien ne sont pas toujours mauvaises ! Il découvre notamment les plaisir de la femme antillaise : Fanotte, qui s’attache à lui presque plus qu’il ne s’attache à elle. La chaleur, la misère, l’humidité, la pauvreté, tout ça version Martinique, le personnage (ainsi que le lecteur) y est confronté au fur et à mesure que l’aventure avance, avec un regard de plus sur la communauté syrienne martiniquaise concentrée autours de la Rue des Syriens où marchants plus ou moins tendres travaillent.

Réelle Créolité

Si Confiant nous montre la Martinique principalement à travers l’histoire de Wadi, nous la voyons aussi à travers l’optique de divers personnages. La présence des témoignages variés et du langage créole en plus de l’arabe et du français nous montre la Martinique dans sa réalité : un mélange multiculturel étrangement homogène, où toutes les cultures semblent s’emboiter dans une harmonie bruyante.
Dans cette concordance improbable, les sons, les images et les goûts se complètent. Raphaël Confiant nous transporte dans ce paysage qu’il connaît comme sa poche et dans la pensée de ces acteurs intéressant pour une vision complète de cette histoire passionnante. Avec un sens clair de la négritude et un style facile à comprendre, le roman est réussi et adaptable à toute sorte de lecteurs.