Tuesday, March 19, 2013

Houston: pastiche

Pastiche: Emma

A la manière de Dany Laferrière (Tout bouge autour de moi)



La Vague

Sur la plage les enfants courent, leurs pieds s’enfoncent dans le sable mouillé. Peaux mates sur le bleu de la mer. Une mer étrangement calme. Le ciel est triste mais il fait chaud. Allongée sur ma serviette j’aspire profondément pour emplir mes poumons de cette douce odeur de sel. Il est tôt. Je ferme mes yeux. Le silence... puis les cris. Tout bouge autour de moi. La terre hurle, craque, engloutit les vivants. La peur m’envahit. Reste calme. Il n’y a  pas de bâtiments alentours. Après quelques interminables minutes, les secousses s’arrêtent. Respire. Je me hisse sur mon coude et reste figée. La vague est immense. Si proche déjà. 1. 2. 3. L’impact me coupe le souffle, roule, tourne, emporte tout sur son passage. Je lutte.

Je perds.


Le réveil

Je reviens à moi doucement. Un moment de répit ; puis mon corps se rappelle à moi. Douloureusement, je me révèle. Un instant je crois rêver. Non, ce n’est pas un rêve, c’est un cauchemar. La vague m’a emportée loin de la plage, déposée sur ce qui était avant un village. Des cabanes de bois ? Il ne reste rien. Des jardins ? Il ne reste rien. De la vie ? Je ne sais pas.  Des corps gisent à terre, disloqués. Des hommes, des femmes, des enfants, des pères, des mères, des sœurs, des oncles, des amis. On dit que la mort n’a pas de visage. Elle en a, aujourd’hui, des milliers.


Pause

Pourtant des ombres se réveillent. Hagardes elles semblent errer pendant quelques instants. Un homme s’adresse à moi, ils ont besoins d’aide, il faut secourir les malades, enterrer les morts, reconstruire. Pas de temps pour s’apitoyer. L’on pleurera plus tard. Je marche à travers les débris. Une femme appelle à l’aide ; cuisse est coincée sous une voiture renversée. Plusieurs personnes tentent de soulever l’engin. Je leur propose mon aide. Dessous, la jambe est broyée. Je réprime un haut le cœur. Un enfant gémit: il cherche sa mère. Je lui prends la main. Il ne dit rien. Je panique : et si nous ne retrouvions jamais ses parents, que deviendra-t-il? Comment lui faire comprendre ? Je pense aux orphelins. Je pense à ceux qui ont travaillé pendant des années. La vague a tout emporté. Les rêves s’échouent. A jamais. Brutalement l’enfant retire sa main de la mienne. Il se met à courir vers une jeune femme. Ils s’étreignent puis s’éloignent. Je me demande combiens auront la chance de se revoir encore.


L’espoir

L’école en brique est, par miracle, intacte. Les gens se rassemblent dedans pour la nuit. Pour faire taire la faim et la peur ils se racontent des histoires. La salle du réfectoire s’emplie de chuchotements. Quelqu’un se met à chanter. En temps normal les gens se seraient plaints. Il y aurait eu des cris, des insultes peut-être. Ce soir tout le monde écoute. D’autres voix s’élèvent. C’est une berceuse. Il faut panser ses plaies.


Partir ?

Le lendemain les premières ONG arrivent. Parmi eux, des français. En Europe tout le monde ne parle que du tsunami. Pour moi, ce n’est que la vague. L’on me dit que je vais pouvoir rentrer, que j’ai de la chance d’être toujours vivante.  Je hoche la tête. Oui, de la chance. Ce n’est pas ma maison qui s’est écroulée. Ce n’est pas moi qui suis orpheline. Ce n’est pas moi qui ai tout perdu. Il faut embarquer. Je n’ai pas de bagages. En montant les marches de l’avion je m’arrête. Je ne peux pas. Il faut que je reste.


Ce que je faisais là

Je fuyais mes responsabilités. Je fuyais l’ennui des salles d’université. Alors j’ai téléphoné à ma mère et je lui ai dit que je voulais partir en Thaïlande. « J’ai besoin d’air, maman, est-ce que tu peux comprendre ? J’ai besoin de me retrouver ». Il y a eu des adieux et quelques larmes. « Prends bien soin de toi ». Et c’est pourquoi j’étais au bord de l’océan Indien le 26 Décembre 2004. C’est pourquoi j’étais présente lors du séisme de magnitude de 9,1, la plus grande jamais enregistrée.  C’est pourquoi j’étais là lors du tsunami, une vague de 30 mètres. Mais pourquoi ai-je survécu ? Y-a-t-il un Dieu ? Est-ce la chance ou le destin ?


Reconstruction

Les habitants font preuve d’un courage hors du commun : à peine s’accordent-ils un court deuil que déjà ils se remettent au travail. Le village reprend forme. Mes mains se couvrent de cals. Des gamins jouent avec une vieille balle trouée. Des femmes chantonnent. Des odeurs d’épices chaudes emplissent l’air. Des hommes travaillent. Pleurent. Crient. S’aiment.

Petit à petit, la vie reprend son cours.  

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