Monday, March 18, 2013

Concours: Montréal- Textes

Collège international Marie de France, Montréal
Critique littéraire
Alain Mabanckou, Demain j'aurai vingt ans

Demain j'aurai vingt ans est le huitième roman d'Alain Mabanckou. Publié dès 2010, il obtient la même année le Prix Georges Brassens.
L'histoire se déroule au Congo, en 1970. Le narrateur, Michel, est alors âgé de dix ans et explique avec une naïveté feinte les premières difficultés qui surviennent dans sa vie d'enfant, comme avec ses amis ou ses amours ; il énonce aussi, innocemment, les troubles politiques qu'il suit avec ardeur malgré son jeune âge. On retrouve donc dans le livre une vision enfantine du monde compliqué qui entoure Michel, sans que le lecteur n'ait aucune difficulté à déchiffrer ce qui est dit implicitement par l'enfant.
A la vue de ses erreurs syntaxiques volontaires et de son vocabulaire simplissime, ce roman attendrit en donnant l'effet que le jeune narrateur est encore et toujours dans une naïveté d'enfance des plus touchantes. Ces deux caractéristiques ― les plus importantes du roman à mes yeux ― peuvent jouer en sa faveur ou en sa défaveur.
D'autre part, l'utilisation de la première personne du singulier permet à chaque lecteur de s'identifier plus aisément au personnage, même si ce dernier reste très différent de nous-mêmes. Par la même occasion, la naïveté du point de vue rappelle sans conteste cette part d'enfance qui vit en chacun de nous, aussi infime soit-elle.
En se mettant à la place du jeune Michel et en plongeant dans son monde, nous bénéficions également d'une ouverture culturelle de premier ordre sur le Congo de 1970 : cette histoire simple, écrite simplement, explique la vie quotidienne des Congolais de l'époque, tout en mettant en avant leurs habitudes, plusieurs détails géographiques et politiques concernant ce pays, soulignant ainsi le fait que cet espace n'est pas inconnu à l’auteur.
Enfin, tout au long de ce rafraîchissant roman, on partage la douleur intérieure du jeune Michel, dont la souffrance ne cesse de nous effleurer et de notre atteindre, en rapport étroit avec ses deux sœurs défuntes et à sa mère qui ne saura cacher à son enfant son vœu d'avoir un bébé sans pouvoir l'exaucer.
Dans les pensées du jeune garçon, et en deçà de sa naïveté enfantine, se laisse percevoir une once de maturité dans ses actes ainsi qu’une manière de réfléchir fréquente et profonde que même la syntaxe, pleine d’erreurs, ou le vocabulaire, peu poussé, ne peuvent camoufler…
Au demeurant, Demain, j’aurai vingt ans constitue donc un excellent choix de lecture — choix que je ne peux que conseiller à toute personne qui s’intéresse à la destinée humaine.

Meriem Beghili, 2nde 3

Regard coloré (1/3 partie)

Le vent commence à souffler un peu plus fort. Je le sais parce que les feuilles des palmiers s'agitent beaucoup plus qu'hier, c'est bien visible à travers la grande baie vitrée du salon. Les rayons du soleil filtrent à travers les nuages. On dirait qu'ils sont là que pour faire joli ; d'ailleurs, ces nuages, c'est de vraies passoires. Mais faut dire que ça m'arrange puisque, du coup, les rues sont toutes ensoleillées, et j'ai le plus beau de tout les beaux paysages sous les yeux. On se serait cru dans un film; il y a plein d'oiseaux qui chantent des chansons que je trouve jolies ; j'aurais bien voulu les enregistrer mais Maman dit que ça marchera pas parce qu'ils sont trop loin. Derrière quelques buildings, on voit des montagnes. Elles sont toutes bleues parce que, justement, elles sont trop loin. Il y a aussi des palmiers (comme je l'ai dit tout à l'heure), de grands et beaux palmiers, et avec des feuilles vraiment grandes, encore plus grandes que les feuilles de bananiers de mon pays. Enfin je crois, je n'ai pas de feuilles de palmier sur moi et encore moins de feuilles de bananier pour vérifier.
Il y a toujours du monde qui marche dans les rues. On est au centre de la ville, c'est pour ça, enfin c'est ce qu'on m'a dit. Je sais pas trop si j'aime vraiment ça, le monde qu'il y a. C'est que des gens pressés, des gens qui regardent tout le temps leur montre et qui parlent au téléphone de trucs de grands que je peux pas comprendre, des gens qui s'habillent tout le temps avec des couleurs pas vives du tout. Un jour, j'aimerais bien leur jeter des pots de peinture de toutes les couleurs, comme ça ils seront moins sombres de l'extérieur. Et alors, peut-être qu'ils seront moins sombres de l'intérieur aussi. Peut-être qu'ils souriraient plus, ces gens-là, qu'ils seraient un peu plus heureux parce que des fois je doute qu'ils le soient. Mais bien sûr, je ne vais pas le faire, parce que je ne vais pas les faire sourire en faisant ça, bien au contraire, ils seront très, très en colère, j'en suis presque sûre. Ils n'ont pas le temps pour mes bêtises. Comme Papa.
J'aurais aimé voir un arc-en-ciel, pour que ce soit encore plus joli. Je n'en ai vu que deux de toute ma vie, mais Maman dit que j'ai beaucoup de chance d'en avoir vu deux, parce qu'il y a des enfants qui n'ont pas eu la chance d'en voir du tout. Alors, je pense que je suis sacrément chanceuse, parce que les arc-en-ciel sont vraiment trop extraordinaires. Il y a plein de couleurs vives comme celles dont les gens sombres ont besoin. La première fois que j'en avais vu un, je n'avais pas très bien compris ce que c'était, mais ensuite j'ai compté chacune des couleurs et ça m'a rappelé ce que j'avais appris à l'école: les arcs-en-ciel en possèdent sept en tout, qui sont le rouge, l'orange, le jaune, le vert, le bleu, l'indigo, et le violet. Et donc, ensuite, j'étais toute excitée d'en avoir vu un sans que personne me le dise. Et c'est moi qui l'ai montré à Maman, en le pointant du doigt. Elle était très fière de moi, après, je le sais parce qu'elle me l'a dit.
Ça fait quelques minutes que j'ai le nez collé à cette fenêtre, mais je ne vois plus grand-chose puisque ma respiration contre la vitre rend ma vision floue, à cause de la buée. Je finis par passer ma main dessus plusieurs fois dessus pour l'essuyer, mais alors, Maman m'appelle pour que j'aille prendre le goûter. Et le goûter, ça ne peut pas attendre, d'ailleurs j'ai faim, très faim, mon ventre gargouille depuis tout à l'heure pour me le rappeler mais je pense bien que j'étais trop concentrée sur ce que j'observais. Maman dit que je peux rester des heures à regarder dehors, sans avoir spécialement envie de sortir, et elle trouve ça bizarre. Quand elle parle de ça, elle utilise des mots d'adulte des fois très compliqués, comme "absorbée par ce qui l'entoure", "d'un calme incroyablement serein pour une fillette de son âge", "patience à toute épreuve" ou "réticence à sortir". Au début, quand elle parle de ça avec les gens, elle est très fière parce que je ne suis pas du tout turbulente comme beaucoup d'enfants, et ça se voit dans ses yeux marrons qui pétillent en me regardant, mais ensuite elle l'est un peu moins, je crois. Des fois quand elle m'en parle, elle a presque l'air inquiet, comme si elle s'attendait toujours à ce que je bondisse dehors pour faire la chasse aux papillons ou pour plonger dans notre piscine. Des fois, je sors, pour lui faire plaisir ; on va faire les courses et elle m'achète toujours quelque chose qui me fait plaisir. Ou alors, on va à la bibliothèque parce qu'elle sait que j'adore ça. Les livres, je ne les lis pas, je les dévore. J'aime bien cette expression d'ailleurs, je l'ai apprise il y a un peu de temps dans un des livres que j'ai pu finir en quelques jours. Enfin bon !... Tout ça pour dire que fais des efforts, j'espère qu'elle le remarque, quand même.
Je me précipite dans la cuisine peu de temps après qu'elle m'a appelée. Elle m'accueille avec un grand sourire, comme d'habitude, et me caresse maladroitement la joue puisqu'elle est au téléphone. Comme d'habitude. Elle pointe du doigt la grande table en bois, avec dessus deux tartines de Nutella et un verre de lait sur un napperon. Je m'assois et je commence à manger, en faisant attention à ne pas tâcher ma robe préférée que je porte aujourd'hui. Une fois qu'elle a fini de parler et que j’ai fini de manger, elle se met derrière moi pour me brosser les cheveux. Elle le fait souvent et adore ça, et moi aussi. Elle passe la brosse lentement, et dénoue chaque nœud avec beaucoup de patience. En général, on se parle en même temps. C'est notre petit moment à toutes les deux. Aujourd'hui, c'est elle qui commence :
― Elles sont bonnes, tes tartines ?
Elle connaît déjà la réponse, j'en suis sûre, mais elle fait ça que pour commencer la conversation, donc c'est pas grave. Je hoche la tête. Elle poursuit :
― Tant mieux. Et qu'en penses-tu, de cet endroit ? C'est joli, pour les vacances. D'ailleurs, après on va à la plage ! D'accord?
― Oui, c'est super joli, mais j'aimerais bien voir un arc-en-ciel, tu sais. Comme la dernière fois, à Pretoria. C'était trop cool !
― Je sais pas s’il en aura, ma puce.
Pendant un moment, je suis un peu fâchée. Je comprends pas pourquoi les adultes pensent toujours à ce qu'on n'aura pas et détruisent tout sans raison. Dans certains livres, ils disent que ces gens-là sont "pessimistes", mais dans d'autres, ils les appellent les "réalistes". Moi, je pense qu'on devrait s'accrocher jusqu'à ce qu'on ait ce qu'on veut. Sinon, on n'a pas de raison de se battre, ni de volonté pour avancer. Bien sûr, je ne le dis pas à ma mère, elle dirait que je suis trop petite pour penser comme ça, et je veux pas être fâchée encore plus ou la mettre en colère. Donc je me tais. Ensuite, elle débarrasse silencieusement mon assiette. Je souris un peu, elle aussi. Elle me dit d'aller préparer mes affaires pour aller se baigner, et de me dépêcher un peu parce qu'autrement, le temps nous manquera. Je ne comprends pas vraiment comment le temps peut nous "manquer", mais je fais vite comme elle me l'a demandé.
J'ai juste le temps de regarder un peu par la fenêtre. Mon sourire s'agrandit quand je remarque un grand arc-en-ciel, un peu plus loin, qui semble me faire un clin d'œil.

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